mardi 25 février 2014

Mircea Eliade Le sacré et le profane (fiche de lecture chapitre 1)



Titre de l’ouvrage

Mircea ELIADE, Le sacré et le profane, Paris, Editions Gallimard/Collection Folio Essais, 1965, p.25
à 62

II – Situation

  • Mircea Eliade est né en 1907 à Bucarest dans une famille chrétienne orthodoxe. A 14 ans, il publie son premier article « Comment j’ai découvert la pierre philosophale ». Il est considéré comme l'un des fondateurs de l'histoire moderne des religions, mythologue, philosophe et romancier, il parle et écrit couramment huit langues. Eliade élabore une vision comparée des religions, en trouvant des relations de proximité entre différentes cultures et moments historiques, il place au centre de l'expérience religieuse de l’homme la notion du « Sacré ». En 1925, il s’inscrit à la faculté de philosophie de l’université de Budapest où il se lie d’amitié avec Nae Ionescu, professeur de mathématique et journaliste d’extrême droite, c’est engagement antisémite de cette période qui ternit son image de chercheur. De 1928-1931, à Calcutta, il s'initie à la pensée hindoue et aux civilisations dites « archaïques », son but est de comprendre d’autres modes d’être que celle des valeurs occidentales. Après guerre, il s'installe à Paris et Georges Dumézil l'invite à la Ve section de l'École pratique des hautes études pour présenter les premiers chapitres de ce qui deviendra plus tard son Traité d'histoire des religions. La même année, il rédige Les Prolégomènes à l'histoire des religions, qui paraîtront en français sous le titre de « Traité d'histoire des religions » (1949). C’est en 1956, que parait son ouvrage le plus célèbre, « Le Sacré et le Profane ». En 1959, l'université de Chicago lui confie la chaire d'histoire des religions, ce qui ne mettra pas fin à son exil qu'il considère comme parti prenante de son œuvre et de sa personnalité, où il enseignera jusqu’à sa mort dans cette même ville en 1986.

III – Plan

Dans l’Avant-propos à l’édition française (Université de Chicago, octobre 1964), Eliade rappelle que son livre « a été conçu et rédigé pour le grand public, comme une introduction générale à l’étude phénoménologique et historique des faits religieux. » (p.9). Il se donne pour objectif de « présenter, en deux cents pages, le comportement de l’homo religiosus, en premier lieu la situation de l’homme des sociétés traditionnelles et orientales » (p10). Eliade veut montrer « la logique et la grandeur de leurs conceptions du Monde, c’est à dire de leurs comportements, de leurs symbolismes et de leurs systèmes religieux » (p.11). Dans l’introduction de l’édition originale (Saint-Cloud, avril 1956), l’auteur précise que le propos du livre est de « présenter le phénomène du sacré dans toute sa complexité, dans sa totalité » (p.16). Il réalise cette présentation en quatre chapitres : 1) L’espace sacré et la sacralisation du Monde, objet de cette fiche de lecture, 2) Le Temps sacré et les mythes, 3) La sacralité de la Nature et la religion cosmique, 4) Existence et vie sanctifiée.

IV – Question et thèse (du premier chapitre)

En étudiant l’espace sacré et la sacralisation du Monde dans les sociétés traditionnelles, Eliade, dans ce premier chapitre, met en évidence l’enjeu de la sacralité qui est de rendre possible « la fondation du Monde » (p.60). L’homme religieux ne peut vivre que dans un monde sacré (p.61), au plus près d’un « Centre du Monde » relié aux trois zones cosmiques : le Ciel, notre monde et le monde d’en bas. Un Centre qu’il ne choisis pas mais qui lui a été révélé (hiérophanie) et sur lequel il peut bâtir un édifice en suivant un rite cosmogonique. Dans ce chapitre, Eliade n’aborde pas la question du profane en elle-même. Il s’en sert comme d’un révélateur négatif de ce qu’est le sacré.

V – Développement

. Homogénéité spatiale et hiérophanie (p25 à 28)
Tout au long de ce chapitre, Eliade expose sa pensée à partir d’oppositions. Il débute par opposer l’expérience « religieuse" de l’espace à son expérience "profane", posant d’emblée la différence initiale. Cette différence d’expérience s'articule autour d'un clivage de perception: homogène ou hétérogène. L’homme religieux ne perçoit pas l'espace d’une façon homogène. Il distingue l'espace sacré, qui seul est réel, d'autres espaces non-consacrés, informes, sans consistance, amorphe. Il distingue « expérience » et « concept » de l’espace, de sorte qu’il se situe dans une saisie existentielle ou phénoménologique de la réalité. Il ne s'agit pas d'une catégorisation intellectuelle de l'espace, l’homme religieux vit une expérience fondatrice qui conditionne son existence d'homme, une expérience ontologique. A contrario, l'expérience profane de l'espace consiste en une perception homogène et neutre. Il y a absence de différenciation qualitative au sein de la structuration profane de l'espace. Dans l'expérience profane, le "point fixe" ne jouit plus d'un statut ontologique unique. Il varie en fonction des besoins quotidiens. Il n'y a plus de "Monde" mais seulement des fragments d'univers. Mais Eliade reconnaît que cette distinction est théorique. Il n'existe pas une pure existence profane, c'est à dire un homme non-religieux qui refuserait toute sacralité du Monde. Cette dimension du sacrée chez l'homme profane se manifeste lorsqu'il donne une qualité exceptionnelle à certains lieux (le paysage natal, celui du premier amour...). Eliade parle alors de "comportements crypto-religieux" (p.28) de l'homme profane.

. Théophanie et signes (p.28 à 32)

Ayant posé cette distinction spatiale première, l’auteur en vient aux hiérophanies, c’est à dire aux différentes formes de révélation du sacré, manifestations qui annulent l'homogénéité de l'espace et révèlent un "point fixe". Il prend l'exemple de la porte de l'église qui sépare et relie à la fois des lieux physiques (la rue/l'église) et des espaces de qualité symbolique différente (le profane/le sacré). Mais l'irruption du sacré se manifeste par une autre porte, non plus horizontale (profane/sacré, rue/église) mais verticale. Il s'agit "d'une porte vers l'en-haut" rendant possible la communication avec les dieux. C'est la "Porte des Cieux". Eliade précise qu'une théophanie ou une hiérophanie ne sont pas toujours nécessaire pour indiquer la sacralité du lieu. Parfois un signe suffit. Un signe qui "introduit un élément absolu et met fin à la relativité et à la confusion du cosmos. Quelque chose qui n'appartient pas à ce monde-ci s'est manifesté d'une manière apodictique et, ce faisant, a tracé une orientation ou a décidé d'une conduite" (p.30). L'homme cherche à provoquer cette manifestation du sacré sans jamais être libre de choisir son emplacement. Dans ce processus de révélation, il a parfois besoin d'un intermédiaire, Eliade prend l’exemple de l'animal. De plus l'homme ne peut réussir à consacrer un espace – à le sacraliser - que dans la mesure où, dans le rituel de construction, il reproduit l'oeuvre des dieux.

. Chaos et Cosmos (p32 à 34)

Avant de développer son propos sur la consécration d’un lieu, Eliade pose comme condition préalable l’explicitation de la notion de « Monde ». Nous avons déjà vu qu’Eliade s’appuie sur des oppositions pour avancer, nous voyons ici qu’il avance rarement d’une façon linéaire. Il établit des connexions entre des notions dans un mouvement centrifuge / centripète, c’est à dire qu’il élargit son propos pour mieux le préciser ensuite. Le Centre et la relation à celui-ci sont donc également présents dans l’écriture d’Eliade. Ici, il oppose le Cosmos au Chaos. C'est à dire un territoire habité, organisé, donc "cosmisé" à un espace inconnu. Ce "cosmos" dessine les frontières du monde sacré, dans la mesure où il a été préalablement consacré, soit qu'il soit l'oeuvre des dieux, soit qu'il communique avec eux. Cette consécration prend, par exemple, la forme de l'érection d'un autel de feu dans le rituel védique. L'autel rend présent le divin et assure sa communication avec lui. Cet acte d'élévation valide la prise de possession du lieu, il équivaut à une cosmogonie. La répartition spatiale entre le Cosmos et le Chaos n'est pas intangible mais procède d'une dynamique, accompagnant par exemple des conquêtes, une colonisation, une extension du territoire. Cette extension du Cosmos sur le Chaos par conversion, provient d'une sacralisation du Chaos via une répétition rituelle de la cosmogonie. Eliade souligne que, jusqu'à l'aube des temps modernes, on ne pense pas les choses en terme de "mondes rivaux", il n'y a pas pluralité de mondes mais bien Chaos et Cosmos. Toute conquête de territoire s'accompagne par une re-création de celui-ci, la consécration l'extirpant du Chaos pour qu'il devienne "monde" à son tour.

. Consécration d'un lieu : répétition de la cosmogonie (p34 à 37)

C’est alors qu’Eliade revient au processus de consécration d'un lieu et pose le principe du "rapport intime entre cosmisation et consécration." Lorsque les hommes organisent un territoire inconnu, ils reproduisent le processus de création du monde par les dieux, c'est la cosmisation. Continuant son principe d’exposition à partir d’opposition, Eliade distingue cette pratique chez les peuples nomades et sédentaires. Chez les nomades, il met évidence la fonction cosmologique et le rôle sotériologique du poteau sacré. Celui-ci maintient la communication avec les dieux, lien vital pour ces nomades. En consacrant un lieu par ce poteau ils reproduisent la façon dont leur dieu a consacré leur futur territoire (dimension cosmologique), l'inclinaison du poteau indique la direction de leur pérégrination de sorte qu'ils se déplacent sans jamais cessé de rester dans "leur monde". La vie n'est donc possible que dans "le monde", c'est à dire dans le "Cosmos", un territoire organisé selon un rituel divin où une communication permanente avec les dieux est rendue possible. Eliade associe l'acte de sédentarisation à la décision vitale "du choix de l'Univers que l'on est prêt à assumer en le "créant". Univers qui est toujours la réplique de l'Univers exemplaire, crée et habité par les Dieux : il participe donc à la sainteté de l'oeuvre des dieux." (p.36). Son propos amène donc à relativiser la notion de nomadisme puisque nomades et sédentaires évoluent en permanence dans leur monde.

1.5 Le "Centre du Monde" (p38 à 43)

A ce stade de sa réflexion, Eliade donne une vision synthétique de ce qu'il nomme le "système du monde" à savoir "a) Un lieu sacré constitue une rupture dans l'homogénéité de l'espace b) cette rupture est symbolisée par une "ouverture" au moyen de laquelle est rendu possible le passage d'une région cosmique à une autre (du Ciel à la Terre et vice versa, de la Terre dans le monde inférieur) c) la communication avec le Ciel est exprimée différemment par un certain nombre d'images se référant toutes à l'Axi mundi : pilier, montagne... d) autour de cet axe cosmique s'étend le "Monde" (="notre monde"), par conséquent l'axe se trouve "au milieu", dans le "nombril de la Terre", il est le Centre du Monde." (p.38) Il pointe alors le symbolisme du Centre du Monde qui rend intelligible le comportement de l’homme traditionnel vis-à-vis de "l'espace dans lequel on vit." Il prend pour exemple "La Montagne cosmique", montagne sacrée qui relie la Terre au Ciel et qui exprime un sentiment profondément religieux : " "notre monde" est une terre sainte parce qu'il est l'endroit le plus proche du Ciel.

1.6 "Notre monde" se situe au Centre (p43 à 47)

Après avoir défini l’espace sacré, ses modes de consécration et le Cosmos, Eliade nous conduit au « centre » de ce chapitre 1. Il évoque maintenant le « Centre » du monde, « là » où est rendu possible la communication entre les trois zones cosmiques : le Ciel, notre monde et le monde d’en bas. Les sociétés traditionnelles connaissent une multiplicité de Centre, c’est notamment le cas chez les juifs : Un pays (La Palestine), une ville (Jérusalem), un lieu (le Temple). C’est le besoin permanent chez l’homme des sociétés traditionnelles – homme religieux par excellence - d’être en contact avec le monde supraterrestre qui justifie cette possibilité d’une multitude de Centre. La maison d’habitation, en tant qu’elle est consacrée, est elle-même un Centre. Puis Eliade revient, pour mieux la développer, à l’idée que l’homme, dans tout acte de création (d’un édifice, d’une ville…), procède selon une cosmogonie. Il souligne ainsi qu’ « à l’image de l’Univers qui se développe à partir d’un Centre et s’étend vers les quatre points cardinaux, le village se constitue à partir d’un croisement » (p.45). Le village est divisé en quatre secteurs, le carré construit à partir du point central est une imago mundi. Et Eliade en vient à ce qu’on pourrait nommer le Centre archétypale : la maison cultuelle, dont il détaille le symbolisme cosmique : « Son toit représente la voûte céleste, les quatre parois correspondent aux quatre directions de l’espace » (p.46).

. Cité-Cosmos (p47 à 49)

Souvenons-nous qu’Eliade propose deux niveaux de lecture de l’opposition espace sacré/profane dans le cas de l’église. Une lecture « concrète »: un bâtiment et une rue séparée par une porte et une lecture symbolique sacré/profane. Il propose ces deux niveaux de lecture pour évoquer le rapport de l’homme traditionnel face à l’attaque de la cité, la Cité-Cosmos. Les attaquants figurent « le Dragon primordial vaincu par les dieux aux commencements des temps...(dès lors)...L’attaque de « notre « monde » est la revanche du Dragon mythique qui se rebelle contre l’œuvre des dieux, le Cosmos….Toute destruction d’une cité équivaut à une régression dans le Chaos. Toute victoire contre l’attaquant réitère la victoire exemplaire du dieu contre le Dragon/Chaos. » (p.47) Dans la tradition juive, les rois païens (réalité historique) étaient présentés sous les traits du Dragon (réalité symbolique). Les défenses des lieux habités (réalité historique et matérielle) sont probablement à l’origine des défenses magiques (réalité symbolique) ; pour finir ces deux niveaux de réalité se rejoignent : « En fin de compte, le résultat de leurs attaques, qu’elles soient démoniaques ou militaires, est toujours le même : la ruine, la désintégration, la mort. » (p.49). Pour Eliade l’homme moderne utilise toujours ce double niveau de représentation pour décrire certaines situations de « chaos », de « désordre » où il s’agit de signifier « l’abolition d’un ordre, d’un Cosmos, d’une structure organique, et la réimmersion dans un état fluide, amorphe, bref, chaotique. » (p.49).

. Assumer la Création du Monde (p49 à 52)

Eliade part d’une nouvelle opposition : les comportements « traditionnel » et « moderne » à l’égard de la demeure humaine, dans une sorte d’écho à son propos d’ouverture sur le sacré et le profane. Cette fois-ci, il mixte une opposition de points de vue spatiale (sacré/profane), et temporelle (tradition/modernité). Il commence par décrire la vision moderne et désacralisée de « la maison-machine à habiter », selon la formule de Le Corbusier, vision dans laquelle la maison idéale doit être, avant tout, fonctionnelle, « c’est à dire permettre aux hommes de travailler et de se reposer pour assurer le travail. » (p.49). A l’inverse Eliade montre « à l’état pur, le comportement traditionnel à l’égard de l’habitation (pour) dégager la Weltanschauung qu’il implique. » (p.50). Rappelant que dans toutes les sociétés traditionnelles l’habitation est toujours sanctifiée puisqu’elle constitue une imago mundi et que le monde est une création divine, il souligne qu’il existe diverses cosmogonies, dont certaines sont tragiques et sanglantes. Il distingue deux moyens de transformer rituellement la demeure en Cosmos : Soit la cosmisation d’un espace par projection des horizons ou l’installation de l’Axis mundi soit en répétant par un rituel de construction, l’acte exemplaire des dieux, grâce auquel le Monde a pris naissance du corps d’un Dragon ou d’un Géant primordial.

. Cosmogonie et sacrifice de construction (p53 à 56)

Eliade s’attarde alors sur la notion de sacrifice de construction, comme une des façons d’homologuer la maison au Cosmos. Ainsi « le maître maçon taille un pieu et l’enfonce dans le sol, exactement au point désigné, afin de bien fixer la tête du serpent. Une pierre de base est posée ensuite au-dessus du pieu. La pierre d’angle se trouve ainsi exactement au « Centre du Monde ». » Ici, commente l’auteur, « le Serpent symbolise le Chaos, l’amorphe, le non-manifesté. Le décapiter équivaut à un acte de création, au passage du virtuel et de l’amorphe au formel. » (p.53). Notons que ce rituel se reproduit à chaque construction, mais que cette « victoire » est également réitérée chaque année, ce qui, en tant chrétien, m’évoque le rite pascal qui commémore et actualise la mort et la Résurrection du Christ. Eliade précise que le sacrifice de construction est rendu nécessaire à la pérennité de la construction qui doit recevoir, pour cela, à la fois une vie et une âme, l’âme étant « transférée » via le sacrifice. Puis il conclut sur la signification religieuse de la demeure humaine. Il rappelle l’importance et la gravité pour l’homme de s’installer quelque part, puisque ce quelque part deviendra un Centre du Monde. Il revient sur l’existence d’une pluralité de Centres. Pour la pensée religieuse, il n’y a pas de difficulté à concevoir une pluralité de « Centres du Monde » puisqu’il ne s’agit pas tant de considérer l’espace géométrique « qu’un espace existentiel et sacré qui présente une tout autre structure, qui est susceptible d’une infinité de ruptures, et donc de communication avec le transcendant. » (p.55).

. Temple, basilique, cathédrale (p56 à 59)

Eliade s’intéresse enfin à l’évolution historique de l’expérience primaire de l’espace sacré. Il évoque le Temple juif qui n’est plus seulement une imago mundi, mais également la reproduction terrestre d’un modèle transcendant. De sorte que « c’est grâce au Temple (maison des dieux) que le Monde est resanctifié dans sa totalité. Quel qu’en soit le degré d’impureté, le Monde est continuellement purifié par la sainteté des sanctuaires. » (p.57). S’il y a multiplicité de « Centres du Monde », Eliade met en évidence que tous les lieux sacrés ne sont pas tous d’une même qualité de sacralité, si on ose le formuler ainsi. Il écrit « La sainteté du Temple est à l’abri de toute corruption terrestre, et cela du fait que le plan architectural du Temple est l’œuvre des dieux et, par conséquent, se trouve tout près des dieux, au Ciel. Les modèles transcendants des Temples jouissent d’une existence spirituelle, incorruptible, céleste. » (p.57). Cette qualité de sainteté se retrouve dans la basilique chrétienne et la cathédrale, spécialement dans l’église byzantine.

. Quelques conclusions (p59 à 62)

En conclusion de ce chapitre, Eliade rappelle que si « la vie religieuse de l’humanité s’effectuant dans l’Histoire, ses expressions sont fatalement conditionnées par les multiples moments historiques et styles culturels » (p.60), ce qui retient l’attention, ce sont leurs éléments d’unité. Différents entre eux, ces espaces sacrés se présentent comme homogènes face à l’espace profane. « Il suffit de confronter le comportement d’un homme non-religieux par rapport à l’espace dans lequel il vit, avec le comportement de l’homme religieux à l’égard de l’espace sacré, pour saisir immédiatement la différence de structure qui les sépare. » (p.60). De sorte qu’il conclut comme il avait commencé, en utilisant le profane pour mieux singulariser le sacré. Et Eliade de réaffirmer que « l’expérience de l’espace sacré rend possible « la fondation du Monde » (p.60). Bouclant avec son propos initial sur l’homme religieux, il rappelle que celui-ci « ne peut vivre que dans un monde sacré parce que seul un tel monde participe à l’être, existe réellement. Cette nécessité religieuse exprime une inextinguible soif ontologique. L’homme religieux est assoiffé de l’être. » (p.61)

VI – Critique
Je ne suis plus tout à fait le même après avoir lu Mircea Eliade. Où plutôt, je ne perçois plus le monde de la même manière. Je l’expérimente en deux dimensions : profane et sacré ! Mais cette caractéristique du livre contient en elle-même un gisement de critique. En effet, à force de s’appuyer sur des oppositions qui peuvent sembler trop théoriques pour être « réelles », Eliade risque de donner l’impression d’une pensée trop clivante, presque idéologique. Et même s’il s’en défend dans l’Avant-propos à l’édition française, j’ai perçu en première lecture, un propos quelque peu nostalgique à l’égard de l’homme religieux des sociétés traditionnelles et trop critique vis-à-vis de l’homme moderne profane. Le clivage n’est pas seulement historique, il est aussi spatial. Eliade présente un point de vue univoque sur le monde profane. Il est indéniable qu’on ressort de la lecture de ce livre avec une épaisseur supplémentaire, mais il aurait été intéressant de trouver des développements plus importants sur la dimension sacré du monde profane d’une part et chez l’homme « moderne » d’autre part. J’ai également été intrigué par la façon dont Mircea Eliade structure l’écriture de sa pensée. Ecrirait-il comme on procède pour un récit initiatique ? Utiliserait-il une narration qui produirait comme une sorte de transe à force de mouvements qui semblent se répéter sans que cela soit jamais parfaitement le cas ? La forme du livre ne rejoint-elle pas son propos ? Eliade procède par révélations progressives, une forme « mystérieuse » au sens chrétien du terme. Enfin, j’ai apprécié l’intention pédagogique se dégageant du recours à de synthèses et conclusions régulières.


Ecrit à l’Abbaye Saint-Martin de Ligugé, du 4 au 6 décembre et du 24 au 31 décembre 2013

jeudi 16 mai 2013

Mon expérience de la liturgie bénédictine comme pédagogie de la foi.

-->

Mon expérience de la liturgie bénédictine comme pédagogie de la foi.


Bonjour ! Aujourd'hui je vous parlerai du caractère pédagogique de la liturgie bénédictine, cherchant à vous dire en quoi elle enseigne et nous renseigne sur la foi.

Je découvre l'abbaye bénédictine Saint-Martin de Ligugé, située à quelques kilomètres au sud de Poitiers, un peu par hasard, sur la recommandation d'une amie. Je cherche un lieu de ressourcement spirituel pour bien aborder la rentrée 2012.

Très vite, je suis touché par la beauté des offices, par la grâce et la douceur des gestes, quelle magnifique chorégraphie ! Cela parle à mon cœur, cela parle à mon esprit. Je suis frappé par ces moines prêtres formant un demi cercle autour de l'autel pour la consécration des espèces.

Ce n’est pas une beauté froide et distante, car elle émane visiblement du for intérieur des moines. Dans cette interprétation bénédictine de l’art de célébrer, la coïncidence entre la forme et le fond est remarquable. La forme dit le fond, le fond est dans la forme. Ces moines sont plus que des témoignages de foi, ils sont des incarnations singulières de la foi.

Cette beauté vivante me donne envie d'entrer en communion fraternelle avec les moines. Cela fait plus de vingt ans que je côtoie des abbayes et chante les psaumes mais, pour la première fois, je prends conscience que chanter des psaumes est un acte de prière collectif. Une prière qui vient de mon cœur, prolongée par ma voix, mais aussi une prière qui me dépasse, une prière d'Église, portée par l’assemblée, inspirée du Christ, chantée pour lui, une prière d'hommage au Père, inspirée de l'Esprit.

Je peux témoigner de la paix intérieure qui m'habite lorsque ma voix se mêle à celles des moines et de l’assemblée, lorsque je me mets au diapason de la gestuelle des moines, lorsque je m'incline à leur rythme, que je marche à leur rythme.

Entendre la Parole plusieurs fois par jour ressource. Cette Parole, écrite il y a plusieurs millénaires, nous soutient dans nos tâches quotidiennes. Il y a ce va-et-vient permanent quand on se met à l’écoute d’un message qui nous dépasse et nous rappelle notre appartenance à l’Eglise universelle, et la réception du contenu de ce message qui éclaire ce que nous sommes en train de vivre dans la journée.

Je peux dire que je me suis laissé enseigner et transformer par cette liturgie qui est une belle mise en scène spirituelle et bien plus que cela. Ce qui touche dans cette liturgie, ce qui appelle à la conversion, c'est la puissance du témoignage, la qualité d'être des moines. Oui, Il y a une belle circularité entre cette qualité d'être des moines, qui donnent une liturgie touchante, et cette liturgie bénédictine qui fait grandir et invite à vivre et témoigner de la foi.

J'ai eu envie d'imiter les moines, de leur ressembler tout en restant laïc. Au fil des retraites, la force du témoignage authentique faisant son œuvre, cette envie est devenue un engagement : celui de devenir oblat, c'est à dire un engagement à vivre la Règle de Saint Benoit, et à me nourrir de sa spiritualité, dans l'ici et maintenant de mon existence de laïc.

Je ne peux que vous inviter à participer à un office bénédictin pour y goûter cette forme de beauté spirituelle au caractère pédagogique remarquable !