Titre de l’ouvrage
Mircea
ELIADE, Le sacré et le
profane, Paris,
Editions Gallimard/Collection Folio Essais, 1965, p.25
à
62
II
– Situation
- Mircea Eliade est né en 1907 à Bucarest dans une famille chrétienne orthodoxe. A 14 ans, il publie son premier article « Comment j’ai découvert la pierre philosophale ». Il est considéré comme l'un des fondateurs de l'histoire moderne des religions, mythologue, philosophe et romancier, il parle et écrit couramment huit langues. Eliade élabore une vision comparée des religions, en trouvant des relations de proximité entre différentes cultures et moments historiques, il place au centre de l'expérience religieuse de l’homme la notion du « Sacré ». En 1925, il s’inscrit à la faculté de philosophie de l’université de Budapest où il se lie d’amitié avec Nae Ionescu, professeur de mathématique et journaliste d’extrême droite, c’est engagement antisémite de cette période qui ternit son image de chercheur. De 1928-1931, à Calcutta, il s'initie à la pensée hindoue et aux civilisations dites « archaïques », son but est de comprendre d’autres modes d’être que celle des valeurs occidentales. Après guerre, il s'installe à Paris et Georges Dumézil l'invite à la Ve section de l'École pratique des hautes études pour présenter les premiers chapitres de ce qui deviendra plus tard son Traité d'histoire des religions. La même année, il rédige Les Prolégomènes à l'histoire des religions, qui paraîtront en français sous le titre de « Traité d'histoire des religions » (1949). C’est en 1956, que parait son ouvrage le plus célèbre, « Le Sacré et le Profane ». En 1959, l'université de Chicago lui confie la chaire d'histoire des religions, ce qui ne mettra pas fin à son exil qu'il considère comme parti prenante de son œuvre et de sa personnalité, où il enseignera jusqu’à sa mort dans cette même ville en 1986.
III
– Plan
Dans l’Avant-propos à
l’édition française (Université de Chicago, octobre 1964),
Eliade rappelle que son livre « a été
conçu et rédigé pour le grand public, comme une introduction
générale à l’étude phénoménologique et historique des faits
religieux. »
(p.9). Il se donne pour objectif de « présenter,
en deux cents pages, le comportement de l’homo religiosus, en
premier lieu la situation de l’homme des sociétés traditionnelles
et orientales »
(p10). Eliade veut montrer « la
logique et la grandeur de leurs conceptions du Monde, c’est à dire
de leurs comportements, de leurs symbolismes et de leurs systèmes
religieux » (p.11). Dans
l’introduction de l’édition originale (Saint-Cloud, avril 1956),
l’auteur précise que le propos du livre est de « présenter
le phénomène du sacré dans toute sa complexité, dans sa
totalité »
(p.16). Il réalise cette présentation en quatre chapitres : 1)
L’espace sacré et la sacralisation du Monde, objet
de cette fiche de lecture,
2) Le Temps sacré et les mythes, 3) La sacralité de la Nature et la
religion cosmique, 4) Existence et vie sanctifiée.
IV
– Question et thèse (du
premier chapitre)
En étudiant l’espace
sacré et la sacralisation du Monde
dans les sociétés traditionnelles, Eliade, dans ce premier
chapitre, met en évidence l’enjeu de la sacralité qui est de
rendre possible « la
fondation du Monde »
(p.60). L’homme religieux ne peut vivre que dans un monde sacré
(p.61), au plus près d’un « Centre du Monde » relié
aux trois zones cosmiques : le Ciel, notre monde et le monde
d’en bas. Un Centre qu’il ne choisis pas mais qui lui a été
révélé (hiérophanie) et sur lequel il peut bâtir un édifice en
suivant un rite cosmogonique. Dans ce chapitre, Eliade n’aborde pas
la question du profane en elle-même. Il s’en sert comme d’un
révélateur négatif de ce qu’est le sacré.
V
– Développement
.
Homogénéité
spatiale et hiérophanie
(p25 à 28)
Tout
au long de ce chapitre, Eliade expose sa pensée à partir
d’oppositions. Il débute par opposer l’expérience « religieuse"
de l’espace à son expérience "profane", posant d’emblée
la différence initiale. Cette différence d’expérience s'articule
autour d'un clivage de perception:
homogène ou hétérogène. L’homme religieux ne perçoit pas
l'espace d’une façon homogène. Il distingue l'espace sacré, qui
seul est réel, d'autres espaces non-consacrés, informes, sans
consistance, amorphe. Il distingue « expérience » et
« concept » de l’espace, de sorte qu’il se situe dans
une saisie existentielle ou phénoménologique de la réalité. Il ne
s'agit pas d'une catégorisation intellectuelle de l'espace, l’homme
religieux vit une expérience fondatrice qui conditionne son
existence d'homme, une expérience ontologique. A contrario,
l'expérience profane de l'espace consiste en une perception homogène
et neutre. Il y a absence de différenciation qualitative au sein de
la structuration profane de l'espace. Dans l'expérience profane, le
"point fixe" ne jouit plus d'un statut ontologique unique.
Il varie en fonction des besoins quotidiens. Il n'y a plus de "Monde"
mais seulement des fragments d'univers. Mais Eliade reconnaît que
cette distinction est théorique. Il n'existe pas une pure existence
profane, c'est à dire un homme non-religieux qui refuserait toute
sacralité du Monde. Cette dimension du sacrée chez l'homme profane
se manifeste lorsqu'il donne une qualité exceptionnelle à certains
lieux (le paysage natal, celui du premier amour...). Eliade parle
alors de "comportements
crypto-religieux"
(p.28) de l'homme profane.
.
Théophanie et
signes (p.28 à
32)
Ayant
posé cette distinction spatiale première, l’auteur en vient aux
hiérophanies,
c’est à dire aux différentes formes de révélation du sacré,
manifestations qui annulent l'homogénéité de l'espace et révèlent
un "point fixe". Il prend l'exemple de la porte de l'église
qui sépare et relie à la fois des lieux physiques (la rue/l'église)
et des espaces de qualité symbolique différente (le profane/le
sacré). Mais l'irruption du sacré se manifeste par une autre porte,
non plus horizontale (profane/sacré, rue/église) mais verticale. Il
s'agit "d'une porte vers l'en-haut" rendant possible la
communication avec les dieux. C'est la "Porte des Cieux".
Eliade précise qu'une théophanie ou une hiérophanie ne sont pas
toujours nécessaire pour indiquer la sacralité du lieu. Parfois un
signe suffit. Un signe qui "introduit
un élément absolu et met fin à la relativité et à la confusion
du cosmos. Quelque chose qui n'appartient pas à ce monde-ci s'est
manifesté d'une manière apodictique et, ce faisant, a tracé une
orientation ou a décidé d'une conduite"
(p.30). L'homme cherche à provoquer cette manifestation du sacré
sans jamais être libre de choisir son emplacement. Dans ce processus
de révélation, il a parfois besoin d'un intermédiaire, Eliade
prend l’exemple de l'animal. De plus l'homme ne peut réussir à
consacrer un espace – à le sacraliser - que dans la mesure où,
dans le rituel de construction, il reproduit l'oeuvre des dieux.
.
Chaos et Cosmos (p32
à 34)
Avant
de développer son propos sur la consécration d’un lieu, Eliade
pose comme condition préalable l’explicitation de la notion de
« Monde ». Nous avons déjà vu qu’Eliade s’appuie
sur des oppositions pour avancer, nous voyons ici qu’il avance
rarement d’une façon linéaire. Il établit des connexions entre
des notions dans un mouvement centrifuge / centripète, c’est
à dire qu’il élargit son propos pour mieux le préciser ensuite.
Le Centre et la relation à celui-ci sont donc également présents
dans l’écriture d’Eliade. Ici, il oppose le Cosmos au Chaos.
C'est à dire un territoire habité, organisé, donc "cosmisé"
à un espace inconnu. Ce "cosmos" dessine les frontières
du monde sacré, dans la mesure où il a été préalablement
consacré, soit qu'il soit l'oeuvre des dieux, soit qu'il communique
avec eux. Cette consécration prend, par exemple, la forme de
l'érection d'un autel de feu dans le rituel védique. L'autel rend
présent le divin et assure sa communication avec lui. Cet acte
d'élévation valide la prise de possession du lieu, il équivaut à
une cosmogonie. La répartition spatiale entre le Cosmos et le Chaos
n'est pas intangible mais procède d'une dynamique, accompagnant par
exemple des conquêtes, une colonisation, une extension du
territoire. Cette extension du Cosmos sur le Chaos par conversion,
provient d'une sacralisation du Chaos via une répétition rituelle
de la cosmogonie. Eliade souligne que, jusqu'à l'aube des temps
modernes, on ne pense pas les choses en terme de "mondes
rivaux", il n'y a pas pluralité de mondes mais bien Chaos et
Cosmos. Toute conquête de territoire s'accompagne par une
re-création
de celui-ci, la consécration l'extirpant du Chaos pour qu'il
devienne "monde" à son tour.
.
Consécration d'un
lieu : répétition de la cosmogonie (p34
à 37)
C’est
alors qu’Eliade revient au processus de consécration d'un lieu et
pose le principe du "rapport
intime entre cosmisation et consécration."
Lorsque les hommes organisent un territoire inconnu, ils reproduisent
le processus de création du monde par les dieux, c'est la
cosmisation.
Continuant son principe d’exposition à partir d’opposition,
Eliade distingue cette pratique chez les peuples nomades et
sédentaires. Chez les nomades, il met évidence la fonction
cosmologique et le rôle sotériologique du poteau sacré. Celui-ci
maintient la communication avec les dieux, lien vital pour ces
nomades. En consacrant un lieu par ce poteau ils reproduisent la
façon dont leur dieu a consacré leur futur territoire (dimension
cosmologique),
l'inclinaison du poteau indique la direction de leur pérégrination
de sorte qu'ils se déplacent sans jamais cessé de rester dans "leur
monde". La vie n'est donc possible que dans "le monde",
c'est à dire dans le "Cosmos", un territoire organisé
selon un rituel divin où une communication permanente avec les dieux
est rendue possible. Eliade associe l'acte de sédentarisation à la
décision vitale "du
choix de l'Univers que l'on est prêt à assumer en le "créant".
Univers qui est
toujours la réplique de l'Univers exemplaire, crée et habité par
les Dieux : il participe donc à la sainteté de l'oeuvre des dieux."
(p.36). Son propos amène donc à relativiser la notion de nomadisme
puisque nomades et sédentaires évoluent en permanence dans leur
monde.
1.5
Le "Centre du
Monde" (p38 à
43)
A
ce stade de sa réflexion, Eliade donne une vision synthétique de ce
qu'il nomme le "système du monde" à savoir "a)
Un lieu sacré constitue une rupture dans l'homogénéité de
l'espace b) cette rupture est symbolisée par une "ouverture"
au moyen de laquelle est rendu possible le passage d'une région
cosmique à une autre (du Ciel à la Terre et vice versa, de la Terre
dans le monde inférieur) c) la communication avec le Ciel est
exprimée différemment par un certain nombre d'images se référant
toutes à l'Axi mundi : pilier, montagne... d) autour de cet axe
cosmique s'étend le "Monde" (="notre monde"),
par conséquent l'axe se trouve "au milieu", dans le
"nombril de la Terre", il est le Centre du Monde."
(p.38) Il pointe alors le symbolisme du Centre du Monde qui rend
intelligible le comportement de l’homme traditionnel vis-à-vis de
"l'espace dans
lequel on vit."
Il prend pour exemple "La Montagne cosmique", montagne
sacrée qui relie la Terre au Ciel et qui exprime un sentiment
profondément religieux : " "notre monde" est une
terre sainte parce qu'il est l'endroit le plus proche du Ciel.
1.6
"Notre monde"
se situe au Centre (p43
à 47)
Après
avoir défini l’espace sacré, ses modes de consécration et le
Cosmos, Eliade nous conduit au « centre » de ce chapitre
1. Il évoque maintenant le « Centre » du monde, « là »
où est rendu possible la communication entre les trois zones
cosmiques : le Ciel, notre monde et le monde d’en bas. Les
sociétés traditionnelles connaissent une multiplicité de Centre,
c’est notamment le cas chez les juifs : Un pays (La Palestine), une
ville (Jérusalem), un lieu (le Temple). C’est le besoin permanent
chez l’homme des sociétés traditionnelles – homme religieux par
excellence - d’être en contact avec le monde supraterrestre qui
justifie cette possibilité d’une multitude de Centre. La maison
d’habitation, en tant qu’elle est consacrée, est elle-même un
Centre. Puis Eliade revient, pour mieux la développer, à l’idée
que l’homme, dans tout acte de création (d’un édifice, d’une
ville…), procède selon une cosmogonie. Il souligne ainsi qu’ « à
l’image de l’Univers qui se développe à partir d’un Centre et
s’étend vers les quatre points cardinaux, le village se constitue
à partir d’un croisement »
(p.45). Le village est divisé en quatre secteurs, le carré
construit à partir du point central est une imago
mundi. Et Eliade en
vient à ce qu’on pourrait nommer le Centre archétypale : la
maison cultuelle, dont il détaille le symbolisme cosmique :
« Son toit
représente la voûte céleste, les quatre parois correspondent aux
quatre directions de l’espace »
(p.46).
.
Cité-Cosmos
(p47 à 49)
Souvenons-nous
qu’Eliade propose deux niveaux de lecture de l’opposition espace
sacré/profane dans le cas de l’église. Une lecture « concrète »:
un bâtiment et une rue séparée par une porte et une lecture
symbolique sacré/profane. Il propose ces deux niveaux de lecture
pour évoquer le rapport de l’homme traditionnel face à l’attaque
de la cité, la Cité-Cosmos. Les attaquants figurent « le
Dragon primordial vaincu par les dieux aux commencements des
temps...(dès
lors)...L’attaque de
« notre « monde » est la revanche du Dragon
mythique qui se rebelle contre l’œuvre des dieux, le Cosmos….Toute
destruction d’une cité équivaut à une régression dans le Chaos.
Toute victoire contre l’attaquant réitère la victoire exemplaire
du dieu contre le Dragon/Chaos. »
(p.47) Dans la tradition juive, les rois païens (réalité
historique) étaient présentés sous les traits du Dragon (réalité
symbolique). Les défenses des lieux habités (réalité historique
et matérielle) sont probablement à l’origine des défenses
magiques (réalité symbolique) ; pour finir ces deux niveaux de
réalité se rejoignent : « En
fin de compte, le résultat de leurs attaques, qu’elles soient
démoniaques ou militaires, est toujours le même : la ruine, la
désintégration, la mort. »
(p.49). Pour Eliade l’homme moderne utilise toujours ce double
niveau de représentation pour décrire certaines situations de
« chaos », de « désordre » où il s’agit
de signifier « l’abolition
d’un ordre, d’un Cosmos, d’une structure organique, et la
réimmersion dans un état fluide, amorphe, bref, chaotique. »
(p.49).
.
Assumer la Création
du Monde (p49 à
52)
Eliade
part d’une nouvelle opposition : les comportements
« traditionnel » et « moderne » à l’égard
de la demeure humaine, dans une sorte d’écho à son propos
d’ouverture sur le sacré et le profane. Cette fois-ci, il mixte
une opposition de points de vue spatiale (sacré/profane), et
temporelle (tradition/modernité). Il commence par décrire la vision
moderne et désacralisée de « la maison-machine à habiter »,
selon la formule de Le Corbusier, vision dans laquelle la maison
idéale doit être, avant tout, fonctionnelle, « c’est
à dire permettre aux hommes de travailler et de se reposer pour
assurer le travail. »
(p.49). A l’inverse Eliade montre « à
l’état pur, le comportement traditionnel à l’égard de
l’habitation (pour) dégager la Weltanschauung qu’il
implique. »
(p.50). Rappelant que dans toutes les sociétés traditionnelles
l’habitation est toujours sanctifiée puisqu’elle constitue une
imago mundi
et que le monde est une création divine, il souligne qu’il existe
diverses cosmogonies, dont certaines sont tragiques et sanglantes. Il
distingue deux moyens de transformer rituellement la demeure en
Cosmos : Soit la cosmisation d’un espace par projection des
horizons ou l’installation de l’Axis
mundi soit en répétant
par un rituel de construction, l’acte exemplaire des dieux, grâce
auquel le Monde a pris naissance du corps d’un Dragon ou d’un
Géant primordial.
.
Cosmogonie et
sacrifice de construction
(p53 à 56)
Eliade
s’attarde alors sur la notion de sacrifice de construction, comme
une des façons d’homologuer la maison au Cosmos. Ainsi « le
maître maçon taille un pieu et l’enfonce dans le sol, exactement
au point désigné, afin de bien fixer la tête du serpent. Une
pierre de base est posée ensuite au-dessus du pieu. La pierre
d’angle se trouve ainsi exactement au « Centre du Monde ». »
Ici, commente l’auteur, « le
Serpent symbolise le Chaos, l’amorphe, le non-manifesté. Le
décapiter équivaut à un acte de création, au passage du virtuel
et de l’amorphe au formel. »
(p.53). Notons que ce rituel se reproduit à chaque construction,
mais que cette « victoire » est également réitérée
chaque année, ce qui, en tant chrétien, m’évoque le rite pascal
qui commémore et actualise la mort et la Résurrection du Christ.
Eliade précise que le sacrifice de construction est rendu nécessaire
à la pérennité de la construction qui doit recevoir, pour cela, à
la fois une vie et une âme, l’âme étant « transférée »
via le sacrifice. Puis il conclut sur la signification religieuse de
la demeure humaine. Il rappelle l’importance et la gravité pour
l’homme de s’installer quelque part, puisque ce quelque part
deviendra un Centre du Monde. Il revient sur l’existence d’une
pluralité de Centres. Pour la pensée religieuse, il n’y a pas de
difficulté à concevoir une pluralité de « Centres du Monde »
puisqu’il ne s’agit pas tant de considérer l’espace
géométrique « qu’un
espace existentiel et sacré qui présente une tout autre structure,
qui est susceptible d’une infinité de ruptures, et donc de
communication avec le transcendant. »
(p.55).
.
Temple, basilique,
cathédrale (p56 à
59)
Eliade
s’intéresse enfin à l’évolution historique de l’expérience
primaire de l’espace sacré. Il évoque le Temple juif qui n’est
plus seulement une imago
mundi, mais également
la reproduction terrestre d’un modèle transcendant. De sorte que
« c’est grâce
au Temple (maison des dieux) que le Monde est resanctifié dans sa
totalité. Quel qu’en soit le degré d’impureté, le Monde est
continuellement purifié par la sainteté des sanctuaires. »
(p.57). S’il y a multiplicité de « Centres du Monde »,
Eliade met en évidence que tous les lieux sacrés ne sont pas tous
d’une même qualité de sacralité, si on ose le formuler ainsi. Il
écrit « La
sainteté du Temple est à l’abri de toute corruption terrestre, et
cela du fait que le plan architectural du Temple est l’œuvre des
dieux et, par conséquent, se trouve tout près des dieux, au Ciel.
Les modèles transcendants des Temples jouissent d’une existence
spirituelle, incorruptible, céleste. »
(p.57). Cette qualité de sainteté se retrouve dans la basilique
chrétienne et la cathédrale, spécialement dans l’église
byzantine.
.
Quelques conclusions
(p59 à 62)
En
conclusion de ce chapitre, Eliade rappelle que si « la
vie religieuse de l’humanité s’effectuant dans l’Histoire, ses
expressions sont fatalement conditionnées par les multiples moments
historiques et styles culturels » (p.60),
ce qui retient l’attention, ce sont leurs éléments d’unité.
Différents entre eux, ces espaces sacrés se présentent comme
homogènes face à l’espace profane. « Il
suffit de confronter le comportement d’un homme non-religieux par
rapport à l’espace dans lequel il vit, avec le comportement de
l’homme religieux à l’égard de l’espace sacré, pour saisir
immédiatement la différence de structure qui les sépare. »
(p.60). De sorte qu’il conclut comme il avait commencé, en
utilisant le profane pour mieux singulariser le sacré. Et Eliade de
réaffirmer que « l’expérience
de l’espace sacré rend possible « la fondation du Monde »
(p.60). Bouclant avec son propos initial sur l’homme religieux, il
rappelle que celui-ci « ne
peut vivre que dans un monde sacré parce que seul un tel monde
participe à l’être, existe réellement. Cette nécessité
religieuse exprime une inextinguible soif ontologique. L’homme
religieux est assoiffé de l’être. »
(p.61)
VI
– Critique
Je
ne suis plus tout à fait le même après avoir lu Mircea Eliade. Où
plutôt, je ne perçois plus le monde de la même manière. Je
l’expérimente en deux dimensions : profane et sacré !
Mais cette caractéristique du livre contient en elle-même un
gisement de critique. En effet, à force de s’appuyer sur des
oppositions qui peuvent sembler trop théoriques pour être
« réelles », Eliade risque de donner l’impression
d’une pensée trop clivante,
presque
idéologique. Et
même s’il s’en défend dans l’Avant-propos à l’édition
française, j’ai perçu en première lecture, un propos quelque peu
nostalgique à l’égard de l’homme religieux des sociétés
traditionnelles et trop critique vis-à-vis de l’homme moderne
profane. Le clivage n’est pas seulement historique, il est aussi
spatial. Eliade présente un point de vue univoque sur le monde
profane. Il est indéniable qu’on ressort de la lecture de ce livre
avec une épaisseur supplémentaire, mais il aurait été intéressant
de trouver des développements plus importants sur la dimension sacré
du monde profane d’une part et chez l’homme « moderne »
d’autre part. J’ai également été intrigué par la façon dont
Mircea Eliade structure l’écriture de sa pensée. Ecrirait-il
comme on procède pour un récit initiatique ? Utiliserait-il
une narration qui produirait comme une sorte de transe à force de
mouvements qui semblent se répéter sans que cela soit jamais
parfaitement le cas ? La forme du livre ne rejoint-elle pas son
propos ? Eliade procède par révélations progressives, une
forme « mystérieuse » au sens chrétien du terme. Enfin,
j’ai apprécié l’intention pédagogique se dégageant du recours
à de synthèses et conclusions régulières.
Ecrit
à l’Abbaye Saint-Martin de Ligugé, du 4 au 6 décembre et du 24
au 31 décembre 2013